Michel Verrette, professeur d’histoire a la retraite, a fait publier cette lettre dans l’édition du 6 mai 2020 de La Liberté
« Pour faire écho à l’éditorial de Michel Lagacé et aux lettres des couples Lavergne et Robert parus dans La Liberté de la semaine dernière, je me permets d’ajouter mon grain de sel.
Notre premier ministre, depuis qu’il est au pouvoir, se comporte comme un petit comptable – je n’ai rien contre cette profession.
Depuis son élection en 2016, Brian Pallister, en bon conservateur, considère que les employés gouvernementaux et paragouvernementaux sont surpayés. Jusqu’à présent, il avait résisté à la tentation d’imposer une coupure directe ou des journées de congé non-payées; les fameux Filmon Friday des années 1990. Avec la crise de la Covid-19, crise sanitaire et économique, l’occasion était trop belle. Il impose donc une réduction salariale de 10% à 30% aux fonctionnaires ainsi qu’aux organismes paragouvernementaux (universités et autres) par le biais de coupures de leur budget, et ce pour les quatre prochains mois. Le premier ministre affirme ne pas vouloir mettre personne au chômage mais partager le travail à faire, et, naturellement, partager aussi le salaire, qui diminuera en conséquence.
Pourquoi tout ce monde devrait-il accepter son exigence? D’abord parce que lui donne l’exemple : réduction de 25% de son salaire de député, mais pas celui de premier ministre. Bel exemple de solidarité!
Selon le discours officiel, ce serait par solidarité avec les employés de la santé, pour leur venir en aide, que la réduction de salaire devrait être acceptée avec le sourire. C’est une première au Canada. Quand on demande à la population d’être solidaire du secteur de la santé, ce sont des bras, de l’aide physique, de l’envoi de matériel de protection qu’on demande. Pas, par solidarité, de la part de celles et ceux qui travaillent d’envoyer une partie de leur salaire aux travailleurs de la santé.
Le premier ministre argumente aussi que 96% des pertes d’emplois l’ont été dans le secteur privé et que, toujours par solidarité, comme une grande famille, il faut bien, aussi, mettre en chômage des employés du gouvernement ou réduire leur salaire afin qu’eux aussi contribuent à l’effort de lutte à la pandémie.
Où est la logique de ce raisonnement? Et que vient faire ici la notion de solidarité, de « famille »? Si un membre de ma famille perd son emploi est-ce que, par solidarité, je devrais demander à mon employeur de me mettre en chômage ou de réduire mon salaire? Je voudrais bien que le premier ministre m’explique comment, au-delà de l’économie de salaire, créer plus de chômage ou réduire le revenu des employés du gouvernement; ce qui risque seulement d’accroître la pauvreté, le nombre de demandeurs d’aide aux banques alimentaires, sans oublier l’endettement, va créer plus de solidarité et, surtout, contribuer à solutionner la double crise actuelle : pandémie et crise économique? Très clairement, le seul véritable objectif de cette politique est d’ordre comptable. Aucune vision économique à moyen terme, aucun leadership.
Le premier ministre ne voie pas la crise économique et la reprise qu’il faudra gérer tôt ou tard. Comment des gens qui auront perdu une partie de leur revenu, qui auront peut-être dû reporter un certain nombre de paiements hypothécaires ou de carte de crédit pourront-ils contribuer à relancer l’activité économique?
Brian Pallister joue aussi sur un autre argument : l’essentialité, ou non, en temps de pandémie, du travail des fonctionnaires et des universités. Comment explique-t-il pourquoi nombre d’entreprises cherchent à garder leur personnel, bien au-delà de leurs besoins essentiels? On me répliquera qu’une partie de leur salaire sera payé le fédéral. Notre premier ministre, veut sans doute que universités, collèges et compagnies de la couronne utilisent ces mêmes programmes pour combler les réductions qu’il leur impose. Quel bel exemple de « solidarité » que celui qui pelte ses problèmes dans la cour du voisin! Et, en même temps il s’en prend à la trop grande générosité du fédéral. Que les dettes soient manitobaines ou canadiennes, ce sont les mêmes personnes qui les paieront. Mais, il est sans doute plus profitable électoralement d’avoir le moins de dettes possibles!
En passant, par « solidarité » il ne serait pas venu à l’idée du premier ministre d’augmenter, pour quatre mois, l’impôt des mieux nantis.
Nos universités et collèges sont et continueront eux aussi d’être au cœur d’une crise profonde : adaptabilité à l’enseignement à distance, demande accrue de cours, perte importante de revenus avec baisse probable des inscriptions des étudiantes et étudiants internationaux, etc.
Encore une fois, la simple logique comptable du premier ministre Pallister ne tient pas la route. Celle-ci, si elle est appliquée fera plus de tort au Manitoba à court, à moyen et à long termes. Monsieur le Premier ministre, il est temps que vous leviez le nez de vos livres comptables pour voir ce que se passe autour de vous. »
Michel Verrette, PhD
Professeur à la retraite
Voici des liens à deux autres articles rédigés par Michel Verrette :