En dépit de nombreuses mises en garde des économistes et gens d’affaires de toutes les allégeances idéologiques confondues, en pleine crise pandémique, les mesures d’austérité du gouvernement Pallister sont devenues endémiques. Ces mesures, qui se traduisent par d’importantes coupures dans les services publics, risquent de compromettre non seulement la relance économique, mais aussi les principes d’équité chers à la société manitobaine. Un des secteurs touchés par cette austérité du gouvernement Pallister est l’Université, laquelle s’en trouve profondément affectée et de deux façons.
D’abord, le gouvernement nuit à l’épanouissement de l’Université, voire menace sa survie même, en coupant dans son financement. Depuis qu’il est au pouvoir Pallister réduit les octrois provinciaux aux universités. Il se sert présentement de la crise pandémique comme d’un prétexte pour nourrir son entreprise de sabotage de l’enseignement supérieur qu’il souhaite transformer en une simple « usine » répondant aux besoins du marché du travail, nous y reviendrons.
Si les universités manquent de fonds, elles devront entre autres réduire leurs programmes. Dans le contexte d’une communauté francophone minoritaire comme la nôtre où les facultés et départements sont déjà réduits au minimum, la moindre coupure de poste menace la viabilité des programmes d’enseignement.
Face au manque de fonds, les universités pourront aussi décider de « refiler la facture » aux étudiant.e.s qui ne cessent de voir les frais de scolarité augmenter, alors qu’ils font face à de nouvelles difficultés financières et psychologiques : rareté des emplois, coûts à assumer pour suivre l’enseignement à distance, nouveaux défis d’apprentissage comme l’auto-discipline à la maison ainsi que l’angoisse et l’anxiété générées par l’incertitude entourant la pandémie.
Ainsi, l’austérité a pour effet de réduire l’accès à l’enseignement universitaire précisément au moment même où les étudiant.e.s en ont le plus besoin pour développer une résilience, un esprit critique et une conscience citoyenne. Pour ces raisons, nous devons investir plus que jamais dans l’Université pour la rendre accessible au plus grand nombre et lui permettre ainsi de jouer son rôle crucial dans la prospérité sociale et économique de la province.
N’oublions pas que la pandémie a entrainé beaucoup de dépenses imprévues pour permettre aux professeurs et employés de travailler depuis la maison et pour assurer la conversion des cours présentiels en cours en ligne. Les employés des universités travaillent plus que jamais pour s’assurer que la mission sociale de l’Université puisse être remplie. Ce n’est pas le temps de priver les universités de ressources.
Le gouvernement Pallister mine également l’Université sur un autre plan, celui de son autonomie. C’est bien connu : Brian Pallister souhaite que les universités soient arrimées aux besoins économiques du marché du travail. Il suffit de se rappeler que l’enseignement universitaire relève depuis octobre 2019 du Ministère du Développement économique et de la formation et non plus de celui de l’Éducation! Le 19 décembre, le ministre Eichler, dans une « lettre de mandat » envoyée aux universités manitobaines, défendait une vision réductrice de l’Université qui, selon lui, devrait être au service du marché du travail, de l’économie et de l’industrie.
Si le ministre reconnait que « [l]a réussite peut prendre diverses formes, depuis l’obtention d’un emploi à la fin de ses études à l’accumulation de plusieurs diplômes », il souligne « mais au bout du compte, les étudiants feront valoir leurs compétences sur le marché du travail et répondront aux besoins en main-d’œuvre du Manitoba. » (https://www.edu.gov.mb.ca/des/pdf/lettre_mandat.pdf).
Cette conception instrumentaliste et utilitariste de l’Université est inquiétante. Elle dénature une institution millénaire et détourne l’Université de sa réelle mission, celle de conserver, de transmettre et de faire avancer le savoir, et ce faisant, de former des citoyens avec un esprit critique. Récemment, le gouvernement Pallister a concrétisé ses intentions en créant un Economic Opportunities Advisory Board, un comité consultatif composé de personnes du secteur privé et qui serait notamment chargé d’orienter les programmes des universités vers les besoins du marché.
Ce comité aura-t-il le droit de s’ingérer dans la détermination des programmes universitaires, fonction qui est pourtant légalement réservée au Sénat, la plus haute instance de l’Université ? Si oui, cela constituerait une atteinte grave à l’autonomie de l’Université et de manière générale à la liberté intellectuelle des universitaires. Sans cette autonomie et cette liberté, l’Université comme bien public cesse d’exister.
La situation ne manque pas d’ironie : le gouvernement réduit le financement des universités, tout en voulant augmenter son emprise sur elles. On est en droit se demander qui, dans l’avenir, saura s’opposer aux actions cyniques de ce gouvernement si l’Université n’est plus en moyen de fournir sa part dans la formation critique des citoyens?
Patrick Noël, professeur d’histoire à l’Université de Saint-Boniface
Étienne Rivard, professeur de géographie à l’Université de Saint-Boniface